Lilith's children
Jenny Stevenson
Pourtant le dossier de décès de Mademoiselle Jenny Stevenson était clair. Elle était morte d’une overdose. Le thanatopracteur aurait de toute manière vu des signes de vie si elle l’aurait vraiment été. Elle était belle et bien inerte alors qu’on l’enfonçait six pieds sous terre, toute apprêtée pour sa dernière maison. C’était sans doute rassurant pour sa famille de se dire ça. Mais au fond, où elle irait?
Son dossier fut de nouveau sortit après la découverte d’un gardien du cimetière. Le corps de Jenny n’était plus dans son cercueil, la terre avait été retournée et le cercueil défoncé. Le corps était porté disparu. Pour dire vrai, il errait encore et encore pour tenter de s’épuiser une bonne fois pour toute. Vous savez ce que ça fait de revivre sans que l’on vous a rien demandé ? C’est rageant. Vous avez la haine. L’on vous a perturbé dans votre sommeil censé être éternel alors qu’au fait, sa mort fut peut-être volontaire. Dépossédée de tous souvenirs. C’est dur de se relever dans la terre fraîche alors qu’on a qu’une seule chose à la bouche, son propre prénom. Revenir à la vie n’est jamais une bonne chose. Même si elle ignore ce qu'elle a été avant sa mort, cette dernière l'avait trop bien accueillie et n'acceptait pas qu'on l'arrache de ses bras. Voyant ses sens et ses capacités physiques se dérégler, ses souvenirs lui faire défaut, elle a tenté de mettre fin à sa vie une deuxième fois. Mais quel comble se fut quand ses poumons se gonflèrent de nouveau quelques minutes après s’être écrasée au sol. Jenny est désormais emplie de colère, elle veut en finir avec elle et avec cette personne qui ose l’obliger par elle-ne-sait quel moyen de rester en vie quoi qu’il en coûte. Elle veut mettre la main sur ce type, elle fera tout pour le retrouver. Il ne faut pas réveiller les morts. Il n’y a pas plus contre-nature que ça. La rousse ne ressent aucun plaisir par ses sens, que ce soit le goût, le touché, ou l’odorat. Elle mange sans réellement manger. Elle finit donc par oublier de le faire car au final, elle ne sait pas si ça sert à quoi que ce soit. Elle peut toucher, constater d’une matière sans pour autant en avoir une réaction. Elle peut sentir autant une tarte aux mûres que du sang séché, elle ne préférera pas une odeur en particulier. Elle voit le monde mais son regard ne veut tomber que sur une personne, celle qui se joue de son propre corps. Dans ses excès de colère, ce fut difficile de ne pas remarquer sa grande violence. C'est pourtant si déstabilisant de la savoir capable de tant violence et de colère avec cet air angélique.
Jenny erre. Elle erre sans fin et sans racine. Elle n’a rien, absolument rien sur quoi s’accrocher. Pourtant, dans sa vie antérieure, elle fut pendant un temps belle et douce, elle n’était pas ce cœur de pierre inondé par la violence.
Il y a de ça vingt-et-un ans, Jenny respire pour la première fois dans une petite ville d'Ecosse. Cette ville qui l’a vu s’épanouir et vivre ses plus beaux moments. Elle grandit entourée de parents aimants et de quelques bons amis. Le père était pêcheur, la mère secrétaire dans une société financière. Ils vivaient modestement mais leur richesse à eux, c’était leur propre famille. Jenny, elle était passionnée de danse écossaise et de danse classique. Elle avait probablement un avenir là-dedans. Mais un matin, le père ne rentra pas de pêche. Il ne rentra pas les jours d’après. Après deux mois d'espoir, le reste de la famille a dû faire le deuil sans le corps. Progressivement, la mère arriva à continuer sa vie, tombant amoureuse de son patron en se justifiant auprès de sa fille : « C’est ce que ton père aurait voulu. Il aurait voulu qu’on continue à vivre pour lui. » Pour Jenny, le temps s’était arrêté malgré elle. Elle ne comprenait pas pourquoi le monde continuait à tourner sans son père. Jenny fut pendant un long moment coincée dans un passé qui repassait en boucle, un passé où son père était encore vivant. Elle avait des amis qui l'on aidé à sortir la tête de l'eau. Ils commençaient tout juste a y arriver mais elle se fit emporter par sa 'nouvelle famille' pour quitter le pays. Puis, les années passèrent, sa mère avait enfanté de deux faux-jumeaux sous le nom de Clarck, le nom de son beau-père. Ce même homme qui la força à faire des études de droits pour devenir son avocate, soutenu par la mère qui semblait tout a fait ignorer les diverses activités douteuses de son nouveau mari. Pourtant, il fut un temps où cette dernière savait très bien que danser était la raison de vivre de sa première fille, que le paysage d’Ecosse coulait dans ses veines. Mais non, ils ont préféré vivre leur vie sans non plus prendre en compte celle de Jenny, celle qui appartenait de moins en moins à la famille. Elle avait tenté de se construire une nouvelle vie dans ce nouveau pays mais il fallait croire que les mauvaises pensées attiraient les mauvaises personnes... Elle se laissa donc vivre comme de l'eau glissante, trouvant un échappatoire où que ce soit, que l'issue soit bonne ou non... Jusqu'à ce que l'eau s'évapore par mégarde.